Trouvant l'idée très interessante, j'ai décidé de l'associer à mon travail.
Je vous encourage donc à découvrir le voyage de Marie au travers de l'écriture, et de me donnez votre avis.
PRINTEMPS SAUVAGE |
La Fille : par Marie Arnoult
Chaque matin, c’était le même rituel. Elle passait devant les maisons endormies, des bottes cachant ses mollets clairs, et des robes fleuries, jaunies par l’usure du temps, les heures de soleil et les averses de pluie.
Chaque matin, ses cheveux
blonds ondulaient sur son dos bruni. Ses omoplates étaient comme deux ailes.
Deux ailes fragiles et pointues qui saillaient sous sa peau fine.
Les boucles s’emmêlaient,
s’entremêlaient, parsemées de feuilles et de copeaux d’écorces. D’herbe aussi.
Un fouillis de nature perché sur son crâne.
Chaque matin, le vieil
homme la voyait passer devant sa fenêtre. Il buvait toujours son café très
fort, bien noir et bien chaud. Son chat sur les genoux, il parcourait le
journal.
Et comme tous les matins,
il redressait la tête, replaçait ses vieilles lunettes à la monture fine et
dorée, jetait un œil à sa montre. La vieille aiguille qui avait rythmé les
nuits glacées de son père, à la guerre, continuait de battre la mesure,
inlassablement. Chaque fois qu’il la regardait passer, sa montre indiquait huit
heures. Jamais plus, jamais moins.
Puis, comme à son
habitude, dans le silence de ses matins, il rechaussait ses pantoufles
quadrillées de bleu et de rouge, s’avançait à la fenêtre, et regardait la
silhouette fluette s’élancer vers les champs. La démarche légère, mal assurée,
chantante et rythmée par le mouvement de ses hanches étroites le rendait
toujours un peu ému.
Il s’en retournait alors
à sa chaise de paille, trouée en son centre. Le chat blanc se roulait sur ses
cuisses amaigries, ronronnant de bonheur.
Peut être était-il le
seul à la connaître, la fille aux cheveux de la nature. Il l’imaginait parfois
dans les bois, cueillant des plantes mystérieuses, parlant aux animaux des
environs, chantonnant en se baignant dans les ruisseaux.
Parfois, il se plaisait à
rêver d’elle, entrain de lire. Il l’imaginait rieuse et joyeuse. Ou endormie,
belle comme une fleur.
Il aimait se dire qu’elle
le connaissait, qu’ils se connaissaient.
Pourtant, il ne la voyait
jamais revenir. Il avait passé des heures devant sa fenêtre, l’attendant, elle
et sa beauté gracile. Mais jamais elle ne revenait des champs.
Alors il s’endormait dans
son fauteuil, les lunettes glissant sur son nez aquilin, et la bouche entrouverte.
Et le matin revenait, et
la fille repassait. Ses épaules, rondes de féminité, perlaient de douceur, et
ses mains, longues et fines, étaient des œuvres de la nature.
Quelque fois, sa bouche
vermeille esquissait un sourire, ses lèvres brillaient au soleil et ses joues
étaient roses de vie.
Elle portait parfois un
panier, parfois un chapeau de paille.
Il n’avait jamais vu ses
yeux. Il aurait aimé pouvoir y lire quelque chose. Depuis que sa Caroline à lui
avait rejoint le ciel, il ne pouvait lire que dans les yeux du chat. Et les
yeux de sa Caroline, ridés par les rires, ou froncés par la colère, ça lui
manquait.
Elle avait un sacré
caractère, la Caroline. Elle criait si fort depuis la cuisine lorsqu’elle
faisait brûler un plat. Jamais elle n’avait voulu lui repasser ses chemises.
Elle n’était pas comme toutes les bonnes femmes, et elle n’en avait que faire
des qu’en dira-ton.
En plus, elle portait des
pantalons. Ils rigolaient bien tous les deux quand elle portait ses salopettes
à lui. Pour aller faire le marché en plus, tu imagines. A chaque fois, c’était
la cohue devant les étals, toutes les commères s’éloignaient d’un coup, et se
rassemblaient en petites troupes, comme les hyènes d’Afrique.
Elle râlait toujours
quand il oubliait le pain et le journal. Alors il y pensait toujours, tous les
matins. Ensuite, ils prenaient leur café fort ensemble, et le tic tac de
l’horloge était là pour rappeler que leur amour n’arrêtait pas le temps.
Et la maladie, elle,
tuait le temps. C’était il y a déjà douze ans, quand le cancer a rongé la
Caroline.
Il n’y avait rien à
faire, le temps est un salaud et la maladie un fléau.
Alors depuis, il ne
regardait que dans les yeux de son chat, pour y voir encore de la vie.
Et le déhanché de la
fille, aussi, lui donnait encore une raison, chaque matin, d’aller chercher le
pain. De se mettre à sa table de bois, et de lever les yeux, à huit heures,
pour voir passer un rayon de soleil.
Chaque matin, c’était le
même rituel. Elle passait, et lui, il vivait, un peu.
Passion : par Marie Arnoult
L' arbre : par Marie Arnoult
Je me rappelle encore de ce jour pluvieux d’octobre, il y a trente ans.
ENTRE PASSION ET DOULEUR |
Passion : par Marie Arnoult
C’était un 24 décembre,
une année de grand froid. Il l’avait croisée dans une rue sombre, entre une
librairie anglaise et un magasin d’antiquités.
Elle avait l’air si
fragile dans sa parka bleue. Elle était d’une beauté à couper le souffle.
Indécente presque. Ses mollets fins nageaient dans ses bottes souples, suintant
sur la neige. Ses cheveux bruns étaient tachés de blancs, mouillés par les
flocons.
Son nez rouge coulait.
Ses lèvres vermeilles tremblaient. Elle était belle. Elle était belle.
Ses mains fines tenaient
des sacs pleins de cadeaux, de paquets, enrubannés de couleurs et de
paillettes.
Les mains transies de
froid, tremblotantes, toute cette fragilité contenue, toute cette vie devant
ses yeux. Il voulait lui offrir quelque chose. Elle semblait perdue, il lui
donnerait un chemin.
Il avait offert de
nombreux chemins déjà. Il se sentait comme un Dieu, tout puissant. Généreux à
l’extrême, il avait la sensation de posséder le destin du monde entier.
Alors, lorsqu’il croisait
une beauté pure, la douceur sensuelle d’une âme égarée, d’une femme, ou d’une
enfant, il faisait don de sa grâce. Il rendait grâce à la magie de l’instant.
Des instants passionnels ?
Il en avait maintenant vécu plusieurs. Beaucoup même. Il se souviendrait
toujours de la première à qui il avait offert un destin majestueux. C’était
sans aucun doute une gamine de bonne famille, douce et tendre comme de la soie.
Il l’avait surprise entrain de lire, assise au coin d’une rue, le soir. Sans
doute un moyen de rentrer plus tard chez elle, saint lieu des hypocrisies
bourgeoises.
Il y avait aussi la
petite rousse de l’école du coin, il savait bien que son père la battait. Il
l’avait vu, ce salaud, lever la main sur la fillette, sur le chemin de l’école.
Il s’était un peu sentit héros ce jour là. Sauveur, défenseur des droits de
l’enfant. Avec lui, cette petite avait eu la chance de sa vie, c’était sûr.
Alors, une fois de plus,
il sentit monter en lui cet instinct fougueux de devoir changer le cours d’une
vie. Cette vie s’offrait à ses yeux comme un bouquet de roses, un diamant brut.
Cette vie là était emprunte d’une beauté sans pareil.
Il était 22h00. La neige
se faisait sourdine. Un moment parfait, pour renverser l’histoire de cette
femme.
Il s’était approché alors, avait tendu ses mains
vers elle. Ses cils, épais et noirs, avaient papillonné un instant, avec la
prestance d’un battement d’aile. Elle n’avait pas crié, elle n’avait rien dit.
Il avait enserré son cou,
et dans un instant de grande générosité, il lui avait offert la plus belle mort
qui soit. Ce soir de fête, de froid cotonneux, d’élégance gracile, il lui avait
donné un allé simple pour les nuages. Un accès illimité aux étoiles qu’il avait
vu danser dans ses yeux.
Si seulement il avait pu voir,
que sous la grande parka bleue, se dessinait un ventre rond.
Température idéale, léger frisson avant d’immerger. Comme
toutes les semaines, elle venait à la même heure, le même jour. Elle levait les
yeux vers la grande pendule qui faisait danser les aiguilles. Huit heures et
demie. Elle resterait jusqu’à ce que la plus petite des danseuses ait pointé
sur le neuf.
Onze.
Ses muscles s’était réchauffés, répétant les mêmes
mouvements, les mêmes flexions, les mêmes tensions. Ses pieds repoussaient la
force liquide, ses bras frappaient en mesure. Inlassablement. Sa tête
plongeait, sa nuque se pliait, ses cuisses et ses jambes servaient à l’élan, se
resserraient. Puis ses bras s’élançaient dans une prière ultime, qu’elle
rejetait le long de ses hanches, et recommençait. Inlassablement.
Vingt-deux.
Sept longues années s’étaient écoulées ;
interminables saisons qui s’enchainaient avec une désinvolture insolente. Comme
un coup de poing dans le cœur. Comme un ricanement mesquin, répétant que
c’était finit.
Pas un jour ne passait sans qu’elle ne pense à lui.
Trente neuf.
Ce n’était pas qu’elle aimait nager. En réalité, aucun
plaisir ne la submergeait. Ni même une once de satisfaction après l’effort. Le
vide.
L’eau n’était qu’un exutoire. L’exutoire où elle pouvait
déverser sa haine, hurler de tous ses muscles, pleurer toutes les larmes de sa
peau, s’immerger dans l’ennemi.
Chaque semaine, elle venait se vider de sa colère, et se
remplir de rancune. Chaque longueur était un cri de souffrance, un râle de
détresse.
Cinquante.
Les crampes apparaissaient, timides. Ses orteils se
tendaient, douloureux. Ses avant-bras la lançaient. Elle souriait. Elle
attendait avec la même impatience le moment où son corps reconnaitrait.
Soixante-douze.
Si elle avait pu partir avec lui ce jour là, elle
n’aurait pas hésité.
Quatre-vingt six.
Ils nageaient main dans la main, toujours plus loin de
l’étendue de sable, toujours plus près de l’immensité de l’Océan. Il avait
cette belle peau hâlée, contrastant si bien avec la couleur coton qui ne la
quittait pas.
La bouche pleine de sel, elle riait aux éclats.
Cent.
Il y avait eu cette vague. La provocation de trop. Elle
avait été retournée de toutes part, battue par la force de l’eau, frappée
contre le fond, plaquée contre la roche, fouettée par la haine de la grande
bleue.
Cent vingt-six.
Après un long moment, elle avait senti sa main. L’avait
enserrée dans la sienne. Sentit son cœur frétiller d’espoir au toucher de sa
paume humide. Trembler d’émotion à l’idée qu’ils s’en sortent vivants.
Et ses yeux avaient vu. Blanc, grand, éclatant,
éblouissant, fort, inconcevable et évident. Silencieux. Doux. Calme. Tout.
Rien. Le bonheur ultime, la simplicité finale, la beauté fulgurante de la vie,
qui changeait de monde. Elle qui n’avait jamais cru à l’après ; qui était
intimement persuadée qu’après la vie, il n’y avait rien. La plénitude qu’elle
ressentait à cet instant lui avait prouvé le contraire.
Sa main tenait la sienne. Qu’importe le lieu, elle était vivante
depuis son cœur, jusqu’aux sillons hypersensibles de ses doigts. Ils iraient
ensemble, dans le monde d’après. Ils seraient ensemble, et c’était cela qui
comptait.
Cent quarante.
Et puis, elle l’avait vu s’avancer devant elle. Sa main
s’était retrouvée seule. Son cœur semblait vouloir s’arracher de sa poitrine.
Déchiré, arraché, lacéré par la douloureuse évidence qu’il partait seul.
Elle aurait voulu hurler à la mort. Hurler à la vie.
Mais pas un mot.
Il s’était retourné vers elle, avait souri. Beau comme un
Dieu. Transperçant son âme à elle. Ses yeux bleus océan lui avaient chuchoté le
plus triste des adieux.
Cent cinquante-sept.
Maintenant, elle n’attendait plus de réponses, elle
n’attendait pas de raison. Il n’y avait ni coupable, ni victimes.
Elle s’immergeait dans l’eau, comme l’eau avait inondé
son corps à lui.
Elle battait le mur bleu, avec l’intime volonté
d’apercevoir, une fois encore, la douceur de leur moment. De sentir, peut-être,
la chaleur de sa paume. De regarder, une dernière fois, ce sourire d’ange.
Cent soixante quatorze.
Alors, désormais, elle était seule. Seule avec la
conscience de ne pas vivre vraiment.
Elle qui ne croyait qu’à la vie sur Terre, elle savait
désormais que sa vie à elle, s’était arrêtée il a longtemps. Lorsqu’elle
s’était réveillée sur le sable, seule.
Une coquille vide, échouée sur le rivage, sans espoir.
Cent quatre-vingt quinze.
Finalement, l’eau, c’est ça, ce trop plein de vide, cette
grandeur infiniment calme.
L’eau était son élément à elle, qu’elle haïssait, qu’elle
adulait.
Elle avait inondé sa vie de douleur, certes. Mais l’eau,
c’était le lieu du miracle, celui où elle avait compris, qu’un jour, elle le
rejoindrait aussi.
Au bout du chemin |
L' arbre : par Marie Arnoult
Je me rappelle encore de ce jour pluvieux d’octobre, il y a trente ans.
Une bicyclette arrivait
de loin, cliquetant et grinçant le long du chemin de terre. Le son était
ancien, l’allure hésitante. Les roues, partiellement dégonflées, crissaient sur
les cailloux qui parsemaient le sol humide, grouillant d’une vie miniature.
Il portait de petites
sandales en cuir, déchirées. Et le béret de son grand-père, mort sur le front,
il y a longtemps. L’habit manquait de boutons, et les manches s’effilochaient.
Ses doigts, noirs de crasse, serraient fort ce vieux guidon, boussole de ses
aventures quotidiennes. Les aventures d’un petit gars d’à peine six printemps.
Un panier d’osier était
accroché par des fils de fer tordus, rouillés, vestiges d’une bobine oubliée.
C’était le panier aux trésors, le réceptacle des trouvailles, les pierres en
forme de cœur, les plumes d’oiseau, les fleurs blanches des prés, les branches
en épées, les galets à ricochets. Et aussi, moi. J’étais là, au milieu de
toutes ces choses, de tout cet or d’insouciance enfantine. Une graine. Graine
tombée par hasard, tombée de nulle part.
Je me rappelle encore de
ce jour pluvieux d’octobre, il y a trente ans.
La brume avait envahit
les sous-bois, enveloppe de douceur sur la nature encore alourdie par les
limbes de la nuit.
Arrivé devant la cabane
bancale, le vélo s’était arrêté brutalement. Les roues tournaient encore dans
le vide, et l’enfant s’était déjà précipité sur sa bâtisse, sautillant de joie,
sautillant de vie.
Et moi, j’avais glissé,
glissé, dégringolé sur l’osier froid, jusqu’à atteindre le sol.
Le vélo et l’enfant était
partis, la cabane avait disparu, la neige avait fondu, et les feuilles se
remettaient à verdir. Une fois encore.
Et moi, j’avais poussé,
poussé, et percé la terre de ma frêle tige, de ma frêle existence.
Les feuilles étaient à
nouveau tombées, la neige aussi, puis le soleil était revenu, cinq fois, dix
fois, quinze fois.
Autour de moi, la nature
connaissait son apogée, le summum de l’abondance, un étalage de variétés
multiples. Pourtant, étranger, je restais en marge de toute cette société
silencieuse, isolé des chênes et châtaigniers. Mes bras étaient trop fins, mes
feuilles trop ternes.
Et puis, les hommes sont
arrivés, et ont déracinés mes congénères. Finis les feuillages denses. Finis
les courses d’écureuils et les danses des abeilles. Finis les naissances des
lapereaux et les nidations printanières.
Moi, mes bras étaient
trop fins. Mon tronc se craquait avec l’âge. Je ne grandissais plus. Alors, les
hommes m’avaient ignoré. Laissé. L’espace autour de moi grandissait,
grandissait. Et la solitude en moi m’envahissait, encore, et encore.
J’aurais aimé atteindre
les nuages, voler dans le ciel, et toucher le soleil. Mais plus le temps
passait, plus je perdais mes feuilles. Et plus le temps filait, plus mes
racines s’affermissaient, et avançaient, loin dans la Terre, ma mère.
Mes racines à moi, elles
étaient indéracinables. Oh, ils ont essayé plusieurs fois, de m’ôter la vie.
Mais malgré l’immense solitude, au plus profond de moi, subsistait cette
étrange force de vie. Ces racines m’ancraient indéfiniment sur ces terres
hostiles, où personne ne voulait de moi. Où nul être ne m’entourait dans ses
bras.
Je me rappelle encore de
ce jour pluvieux d’octobre, il y a trente ans.
Et je sais déjà, que pour
cent ans je demeurerais là.
Quelle écriture, subtile, fine et émotive... Bravo Marie, une future écrivaine, sûrement !
RépondreSupprimerEt bravo ma belle-soeur hein, beau travail, plein de sensibilité... les galeries, c'est pour bientôt, à n'en pas douter !
Bisous
Anne
Merci pour Marie.
RépondreSupprimerIl est vrai que la petite est très douée